Comment avez-vous conçu le projet de développer et d’offrir des solutions digitales pour le secteur de l’électricité en Afrique ?
Elie Bitar : Cet intérêt est né de plusieurs constats. En Europe, l’énergie est presque invisible, elle n’est pas vécue comme un problème par les consommateurs, particuliers et entreprises. Mais au Nigeria, c’est un problème bien visible, y compris dans les zones urbanisées, bénéficiant de l’accès au réseau. Ce problème est souvent – et en partie à juste titre – interprété comme une insuffisance de la production. Cependant, cette interprétation appelle une nuance : une partie de la production est en effet gaspillée. Or, il peut être moins coûteux de réduire ces gaspillages que de renforcer les moyens de production, chers et généralement polluants.
Quelles sont les causes de ce gaspillage ?
EB : Il existe d’abord un potentiel d’économies d’énergies chez les clients industriels et commerciaux, lié par exemple à des générateurs surdimensionnés ou à des gisements d’efficacité énergétique mal exploités. Nous estimons que ce potentiel peut être couramment de l’ordre de 40%.
Smarterise s’attelle aussi à réduire une autre source importante de gaspillage : les pertes techniques et commerciales des réseaux de distribution. Notre cible de clientèle est constituée des utilities africaines, qui affichent des niveaux de pertes considérables, bien supérieurs à ceux encourus en Europe ou aux Etats-Unis. Quel est l’intérêt d’investir dans des moyens de production si une telle proportion de l’énergie produite est perdue dans les réseaux ? En réduisant ces pertes, on peut générer des économies substantielles tant en OPEX qu’en CAPEX, et donc réduire les couts de production d’électricité.
Mais cette énergie n’est pas nécessairement perdue pour tout le monde, puisqu’une partie des pertes correspond à de l’électricité livrée mais non facturée, par exemple dans les cas de fraude…
EB : Tout à fait ; cependant, cette situation n’est évidemment pas sans inconvénient pour les utilities, qui voient ainsi leur équilibre économique fragilisé et leur capacité d’investissement réduite. Surtout, ce sujet reste relativement opaque ; car le plus souvent, l’entreprise constate les écarts de comptage entre l’énergie injectée et l’énergie soutirée sur le réseau, mais elle n’est pas capable de les analyser ; il est par exemple impossible de déterminer la part spécifique des fraudes dans l’ensemble des pertes en ligne. C’est là l’un des intérêts de l’offre de Smarterise.
En quoi consiste cette offre ?
EB : Nous proposons une démarche en trois étapes.
Sachant qu’on ne peut pas gérer ce que l’on ne peut pas mesurer, la première étape consiste à se procurer des données de comptage directement disponibles auprès du client.
La deuxième étape de la démarche est l’analyse des données recueillies. Elle repose sur l’utilisation d’une intelligence artificielle fondée sur le machine learning.
La troisième étape est le suivi des pertes du réseau afin d’apporter les bonnes actions d’amélioration dans la durée.
Les briques techniques de notre solution sont d’onc l’IoT pour le comptage, le cloud et le traitement de données de masse (big data).
Quelles sont les conditions de réussite de cette démarche ?
EB : Les conditions techniques ne sont pas forcément les plus déterminantes. Il est essentiel de nous intégrer au projet du client, de nous adapter à son organisation et à sa complexité. Ce processus d’intégration est une phase nécessaire à la réussite de la mission ; a contrario, un défaut de collaboration avec nos clients génère des risques tout aussi importants que les risques techniques.
Quelles sont selon vous les conditions nécessaires pour que se développe le marché de Smarterise ?
EB : La première condition est technique : c’est la disponibilité et la qualité des données nécessaires pour déployer nos solutions.
La seconde condition est la motivation des utilities pour s’attaquer au sujet des pertes en ligne et leur ouverture à des solutions innovantes.
La troisième condition est liée au financement, qu’il soit commercial ou inscrit dans un projet d’aide au développement.